« Nous le faisons tous les jours. Il faut une heure pour arriver à destination. De là, il faut marcher 40 minutes à travers la jungle. »
« Est-ce sécuritaire ? »
« Oui, mon frère. Ce n’est pas la première fois. »
Radio-Canada a eu cette conversation récemment sur WhatsApp avec un individu associé à l’un des douze comptes TikTok que nous avons identifiés et qui faisaient la publicité d’un service illégal : aider les résidents temporaires indiens au Canada à traverser les États-Unis en dehors des points frontaliers officiels.
L’individu qui proposait un voyage de « 40 minutes à travers la jungle » n’a pas dévoilé son vrai nom à Radio-Canada mais a affirmé habiter à Brampton, en Ontario.
Ces comptes promettent un passage sûr aux États-Unis depuis Montréal, Brampton ou Surrey, en Colombie-Britannique. L’un de ces comptes compte plus de 360 000 abonnés sur TikTok et semble cibler principalement les étudiants indiens vivant au Canada.
Le nombre d’entrées irrégulières aux États-Unis en provenance du Canada a explosé ces derniers mois. De telles traversées irrégulières sont interdites par les lois canadiennes et américaines. Les personnes souhaitant traverser la frontière doivent le faire aux points d’entrée officiels.
Certaines des vidéos publiées par ces comptes TikTok contiennent des témoignages en punjabi de clients prétendument satisfaits.
« Frère, nous sommes venus aux États-Unis depuis le Canada. Nous venons tout juste d’arriver. Nous sommes arrivés grâce à frère Harry. Son service est exceptionnel. Nous nous en sommes sortis très facilement », déclare un homme, le visage recouvert d’un drapeau canadien, dans l’une des vidéos de témoignage.
Dans une autre vidéo, un client affirme avoir traversé la frontière vers l’État de New York depuis Montréal le 8 août.
« Frère Harry nous a fait traverser et nous sommes arrivés (à destination) en toute sécurité. Le chemin était sûr. Après avoir marché pendant environ 25 minutes, nous sommes arrivés confortablement à destination. Nous avons payé tout l’argent plus tard », dit-elle.
À l’aide d’un faux profil, Radio-Canada a contacté « Harry », l’un des dizaines de comptes que nous avons identifiés. Nous lui avons demandé comment il pouvait nous aider à traverser la frontière entre Montréal et les États-Unis. Harry a demandé 5 000 $ et a assuré à Radio-Canada que la somme serait payable après la traversée.
Un autre compte contacté par Radio-Canada a envoyé des captures d’écran de conversations avec des clients satisfaits et a offert plus de détails sur le fonctionnement du passage frontalier.
Le titulaire du compte a expliqué à Radio-Canada qu’un chauffeur Uber viendrait nous chercher à Montréal, en soirée, avant de nous déposer près de la frontière, dans le sud du Québec. Nous devrons traverser à pied. Il a précisé qu’il ne serait pas là en personne.
« Je serai au téléphone avec toi. Tu m’enverras ta position et je te guiderai », a-t-il promis.
Il a déclaré qu’il demandait 1 500 dollars par personne et a même proposé une réduction de groupe.
« Je peux faire 2 500 $ pour deux personnes, si cela vous intéresse », a-t-il écrit. Il nous a demandé à plusieurs reprises quand nous serions prêts à traverser.
Radio-Canada a pu joindre ce passeur. Nous avons parlé avec lui en punjabi, sa langue maternelle.
Il a dit que son nom était Rahul et il nous a dit que nous devrions emporter de l’eau avec nous, porter des manches longues et apporter une paire de chaussures supplémentaire.
« C’est une jungle, mon frère. Il y aura des épines et des buissons », a-t-il dit.
Rahul a indiqué qu’il souhaitait être payé d’avance par virement bancaire. Il a également indiqué à Radio-Canada qu’il acceptait les paiements en espèces en personne, soit à Brampton, soit en Inde.
Il a expliqué à Radio-Canada qu’après avoir traversé, il faudrait se rendre au bureau de la patrouille frontalière du côté américain.
« Après avoir rempli les formalités administratives, dans environ une heure, vous serez libéré. Et ensuite, vous pourrez aller où vous voulez », a-t-il promis.
Radio-Canada était capable d’assister à la réalisation de cette procédure Ce printemps, dans la région de Mooers Forks, dans l’État de New York, des migrants indiens ont été interceptés par la police américaine avant d’être libérés et de monter dans un bus en direction de New York.
Les autorités américaines dénoncent cette pratique. Dans un communiqué, le service des douanes et de la protection des frontières pointe du doigt les « organisations criminelles transnationales » qui « prétendent que les frontières sont ouvertes et proposent la frontière nord comme voie d’entrée aux États-Unis ».
« Les passeurs et les mauvais acteurs continuent de répandre des faussetés et de faire preuve d’un mépris total pour la sécurité et le bien-être des migrants vulnérables », a déclaré Steven Bansbach, porte-parole des douanes et de la protection des frontières des États-Unis.
« (Le ministère américain de la Sécurité intérieure) expulse les ressortissants indiens sans base légale de séjour, notamment par le biais de vols charters d’expulsion. »
La route Roxham au Québec et ses environs ont été un paratonnerre de controverse, des milliers de personnes l’utilisant pour traverser illégalement la frontière vers le Canada en provenance des États-Unis. Alors que le trafic de migrants se dirige désormais dans la direction opposée, Jorge Barrera de CBC a pu voir de première main comment la GRC gère cette zone sensible du trafic d’êtres humains.
Les interceptions américaines de migrants irréguliers dans le secteur de Swanton, au sud du Québec, qui borde les États de New York et du Vermont, ont explosé ces derniers mois.
Depuis janvier, un nombre record de 13 000 personnes ont été arrêtées après avoir traversé clandestinement la frontière entre le sud du Québec et les États-Unis, dont près de 9 000 entre mai et juillet seulement. Il s’agit d’une augmentation de 526 % depuis 2022.
La grande majorité des personnes interceptées sont indiennes ou bangladaises et vivent au Canada avec des visas d’étudiant ou de touriste.
Radio-Canada a pu trouver sur Internet des annonces promettant aux ressortissants indiens l’accès à des visas canadiens frauduleux pour des dizaines de milliers de dollars. Une publication sur un groupe privé Facebook promettait même un forfait comprenant un visa, un billet d’avion pour le Canada et des services de contournement de la frontière vers les États-Unis, le tout pour 130 000 $.
Il existe un marché florissant pour ce type de service, car le Canada est une option plus rapide, plus facile et plus sûre pour les Indiens qui souhaitent se rendre aux États-Unis, a déclaré le politologue Shinder Purewal de l’Université polytechnique Kwantlen en Colombie-Britannique.
« Obtenir un visa canadien est très facile », a-t-il dit. « Obtenir un visa américain est particulièrement difficile. »
« En fait, tous les gangs du Pendjab opèrent désormais depuis le Canada. Et c’est plus sûr. »
Pour attirer de nouveaux clients, ces gangs diffusent sur les réseaux sociaux des messages affirmant que des milliers de résidents indiens du Canada risquent d’être expulsés. Cette désinformation cible les étudiants et les travailleurs temporaires qui s’inquiètent des nouvelles directives fédérales sur l’immigration temporaire.
« Le grand nombre (de résidents indiens) qui restent ici sans perspective d’obtenir la résidence permanente au Canada choisissent de partir pour les États-Unis, qui ont une économie énorme, en fait », a déclaré Purewal.
« Si les Indiens veulent migrer, le pays numéro un est les États-Unis. Le Canada était autrefois le pays numéro un, mais il a baissé de popularité. Le Québec a la réputation en Inde que, d’une manière ou d’une autre, si vous atteignez Montréal, vous serez transféré aux États-Unis très facilement. »
« Si vous allez à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, c’est dangereux. En fait, il y a des gens bien armés des deux côtés. Mais au Canada, c’est des kilomètres et des kilomètres de frontière ouverte. »