Le pari électoral de Macron a peut-être bloqué l’extrême droite, mais n’a pas diminué son attrait


La France est une république créée par un général qui voulait devenir monarque. Il y a plus de 65 ans, Charles de Gaulle a donc conçu une présidence dotée de vastes pouvoirs pour nommer des gouvernements, convoquer des élections, adopter des lois sans vote et lancer des missiles nucléaires.

Comme les puissantes monarchies du passé, sa vie politique est irrégulièrement ponctuée de révoltes populaires.

Il y a une semaine, la dernière révolte semblait sur le point de renverser – ou du moins de blesser gravement – ​​le président en exercice, Emmanuel Macron, qui estime que les Français regrettent d’avoir décapité leur dernier roi et veulent être dirigés par un leader de type Jupiter.

Le Rassemblement national d’extrême droite a recueilli un tiers des voix au premier tour des élections législatives françaises, que Macron a appelé de manière inattendue à “crever l’abcès” d’une Assemblée nationale divisée, selon ses propres termes.

Il voulait un référendum sur l’extrême droite. Ce référendum a failli décapiter Jupiter.

Mais une semaine en politique, c’est long. Et les élections en France sont un processus compliqué en deux étapes. Il ne suffit pas d’arriver en tête au premier tour : un candidat dans une circonscription doit recueillir 50 % des voix ou affronter à nouveau les électeurs.

Au second tour de scrutin, dimanche soir, le Rassemblement national et ses alliés ont été propulsés à la troisième place, avec 143 sièges (sur un total de 577). Le vainqueur de la soirée est le Nouveau Front populaire, une coalition belliqueuse de cinq partis de gauche. Ils ne disposent toutefois que de 190 sièges, loin d’une majorité de 289.

Le parti centriste de Macron, Ensemble, est arrivé deuxième avec 158 sièges, perdant près de 90 sièges par rapport aux élections législatives d’il y a deux ans.

VIDÉO | Les électeurs français soutiennent la gauche et bloquent l’extrême droite au second tour :

Les électeurs français soutiennent la gauche et rejettent l’extrême droite dans les premiers résultats

L’avance rapide de l’alliance de gauche au second tour des élections législatives françaises a suscité à la fois surprise et soulagement, car elle semblait constituer une surprise face à ses rivaux d’extrême droite qui étaient en tête après le premier tour.

Sans surprise, les acclamations ont été rares dans le camp présidentiel. Le Premier ministre et principal lieutenant de Macron, Gabriel Attal, a annoncé qu’il démissionnerait mais continuerait à assurer l’intérim. Macron lui-même n’a rien dit.

Le Rassemblement national suscite la peur car beaucoup en France pensent qu’il veut créer une « démocratie illibérale », qui ne fait que respecter les lois du bout des lèvres, à l’image des régimes hongrois et italiens avec lesquels il entretient des relations amicales. Il s’est même financé pendant près de dix ans grâce à un prêt d’une banque russe.

Pourtant, la tactique électorale désespérée du « tout sauf eux » proposée par le gouvernement — qui appelait les électeurs à se rallier autour du candidat le mieux placé pour battre le Rassemblement national dans chaque circonscription — avait réussi.

Comme l’a déclaré à la télévision française Brice Teinturier, directeur général d’IPSOS, un important institut de sondage français, « la mobilisation négative a fonctionné. Elle montre que la peur du Rassemblement national peut encore pousser les électeurs à le battre ».

« La marée monte », déclare Le Pen

L’accent mis sur le négatif a également laissé le pays sans majorité viable en vue.

Presque immédiatement, le chef de file de la gauche, Jean-Luc Mélenchon, a déclaré que le prochain Premier ministre devrait être l’un de ses députés. Macron a qualifié Mélenchon d’ultra-gauchiste et a refusé de travailler avec lui.

La mobilisation négative a provoqué, comme on pouvait s’y attendre, une réaction furieuse de la part de Jordan Bardella, du Rassemblement national. Le jeune homme de 28 ans avait dirigé la campagne du parti et avait ouvertement parlé de devenir le prochain Premier ministre de la France.

Il a dénoncé ce qu’il a appelé « une alliance du déshonneur » qui a bloqué son parti et « jette la France dans les bras de l’extrême gauche ».

Jean-Luc Mélenchon, fondateur du parti de gauche La France Insoumise (LFI), applaudit à Paris lors du second tour des élections législatives françaises du 7 juillet. Une large coalition de gauche a remporté la course serrée, battant à la fois les centristes du président Emmanuel Macron et l’extrême droite, aucun groupe n’obtenant la majorité absolue. (Sameer Al-Doumy/AFP via Getty Images)

Marine Le Pen, la cheffe de file du Rassemblement, s’est montrée plus sereine en public. “La marée monte”, a-t-elle déclaré. “Notre victoire n’est que reportée”.

« Notre victoire » serait un triomphe à l’élection présidentielle de 2027. C’est le prix fort qu’elle vise pour ce qui serait sa quatrième tentative.

Le Rassemblement national est le beau-fils du Front national, créé par le père de Le Pen, Jean-Marie, en 1972. Il a été condamné à deux reprises pour avoir nié l’Holocauste, et les membres de son parti ont fréquemment exprimé des opinions antisémites et anti-musulmanes.

Marine Le Pen a adouci l’image du parti, en changeant son nom et en faisant appel à Bardella, un porte-parole calme et posé. Mais ses principes fondamentaux demeurent inchangés. Le parti bloquerait presque toute immigration non européenne et créerait deux classes de citoyens français : ceux nés en France avec un seul passeport et les binationaux.

ÉCOUTER | Pourquoi l’extrême droite monte-t-elle au pouvoir en France ?

Brûleur avant22:12Pourquoi l’extrême droite monte-t-elle au pouvoir en France ?

Après que sa coalition centriste a subi une défaite humiliante face à l’extrême droite aux élections européennes au début du mois dernier, le président français Emmanuel Macron a convoqué des élections anticipées au Parlement français dans l’espoir de riposter. Au lieu de cela, le Rassemblement national de Marine Le Pen a poursuivi sur sa lancée et a remporté le premier tour de scrutin dimanche dernier. Le pari électoral de Macron va-t-il se retourner contre lui ? Pourquoi l’extrême droite est-elle en pleine ascension ? Et que signifierait pour l’Europe et le monde une prise de pouvoir par cette dernière au dernier tour de scrutin ce week-end ? Don Murray est un journaliste indépendant actuellement dans le sud de la France. Pendant des années, il a couvert l’Europe pour CBC en tant que reporter et réalisateur de documentaires. Pour les transcriptions de cette série, veuillez visiter : https://www.cbc.ca/radio/frontburner/transcripts

Ces derniers seraient des citoyens de seconde zone, tenus de passer des tests spéciaux pour occuper les postes importants de la fonction publique. Et elle a annoncé durant la campagne électorale que les enfants nés de parents étrangers n’auraient plus le droit de devenir Français.

Cette dernière proposition viderait de sa substance un droit né de la Révolution française de 1789.

Le Rassemblement national et sa politique terrifient des gens comme Célia Abbat, d’origine mauritanienne et immigrée en France à l’âge de sept ans.

« Je pense à 2027 », a-t-elle déclaré à CBC News. « Pour moi, c’est comme demain. Et nous sommes passés si près d’une catastrophe. Je pense que vous pouvez voir l’émotion dans mes yeux. Ma vie s’est pratiquement arrêtée pendant des mois. J’étais tellement anxieuse. »

« Je n’ai pas peur d’un gouvernement RN »

Malgré les résultats des élections, le Rassemblement domine désormais de vastes pans de la France – dans le Nord désindustrialisé et le Sud agricole.

Dans le Vaucluse, une région autour d’Avignon où je vis depuis des décennies, quatre des cinq députés sont désormais issus du Rassemblement. Pendant la campagne, l’ambiance était à la truculence, pas au triomphe.

Selon Nathalie Giese, « Macron a ruiné le pays. Il est arrogant et affreux, le pays ne peut pas faire pire que lui. »

Cet homme de 51 ans a travaillé dans une ferme et touche désormais une petite pension d’invalidité après deux opérations du dos.

« J’ai rejoint les Gilets Jaunes dès le premier jour », raconte-t-elle.

Le mouvement est né spontanément en 2018, lorsque le gouvernement Macron a instauré une taxe « environnementale » sur le gazole, très utilisé dans les régions rurales. Les habitants de ces régions ont dénoncé une trahison et une preuve de l’indifférence du gouvernement à leur égard.

La révolte a duré des mois. Le gouvernement a été ébranlé, l’impôt a été supprimé. L’amertume demeure. Et le Rassemblement national s’est revigoré.

Désormais, les électeurs du Rassemblement n’ont plus peur d’annoncer leur personnalité et leurs opinions.

Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN) d’extrême droite, s’exprime à Paris après les premiers résultats du second tour des élections législatives françaises dimanche. (Dimitar Dilkoff/AFP via Getty Images)

Muriel Burault, 48 ans, est une aide à domicile aux revenus précaires.

« Je n’ai pas peur d’un gouvernement RN », a-t-elle déclaré. « Je connais beaucoup de femmes qui disent qu’elles votent RN parce que Bardella est beau et qu’il parle bien.

« Il y a trop de réfugiés illégaux et de familles de réfugiés légaux. Les hôpitaux et les services sociaux sont débordés. Il faut fermer le robinet. »

Nicole Bacharan, politologue et historienne basée à Paris, a souligné ces commentaires et ces comportements de vote dans les zones rurales et les villes de petite et moyenne taille à travers le pays.

« Cette tendance vers l’extrême droite ne va pas disparaître », a-t-elle déclaré à CBC News. « Les électeurs sont très, très déçus. Ils ont le sentiment d’avoir été tenus à l’écart du pouvoir par une coalition artificielle, tout le monde contre eux. Cette question est donc sur la table et elle occupera une place importante dans l’avenir. »

Macron est arrivé au pouvoir en 2017 en promettant de remodeler la politique française. Il y est parvenu, mais pas de la manière qu’il espérait. Il a poussé les électeurs de droite modérée dans les bras de l’extrême droite et a redonné vie à la gauche clivée. Son propre groupe centriste connaît un recul humiliant.

Pendant sept ans, le monarque-président a tenté de gouverner comme Jupiter. Aujourd’hui, il devra endosser le costume d’un politicien plus humble, souriant, cajolant et négociant avec des opposants qu’il méprise, tout cela à la recherche d’un gouvernement fonctionnel et de politiques vendables.

Cela risque d’être, pour Macron, trois années atroces.

Avec des fichiers de Margaret Evans

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