Alors que six adolescents sont jugés pour avoir prétendument contribué à l’incitation au meurtre de l’instituteur français Samuel Paty, décapité près de Paris il y a trois ans, 13 de ses collègues suivent l’affaire depuis la salle d’audience. Ils ont expliqué à RFI pourquoi il était important pour eux d’essayer de comprendre ce qu’avaient fait leurs anciens élèves.
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“Nous sommes prêts à affronter ce moment maintenant parce que nous l’attendions”, a déclaré l’une des personnes du groupe, qui a souhaité garder l’anonymat, à Victor Cariou, de RFI, devant le tribunal pour enfants de Paris.
“C’est un moment important pour nous. Nous devons franchir cette étape pour avancer dans notre vie.”
Il est difficile d’obtenir des informations fiables depuis trois ans que Paty a été poignardé et décapité près du lycée du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, a déclaré son ancien collègue.
Assister au procès à huis clos, pour lequel les enseignants devaient obtenir une autorisation spéciale, est l’occasion pour eux d’entendre enfin comment les élèves accusés d’avoir contribué à l’incitation au meurtre s’expliquent.
“On sait que ça va être compliqué, mais on nous a prévenus”, dit le même professeur. “Nous sommes tous ensemble, donc c’est plus facile à supporter.”
Deux essais
Le procès, qui a débuté lundi, est le premier d’une série de deux qui visent à demander des comptes aux enfants et aux adultes qui auraient joué un rôle dans l’attaque d’octobre 2020 contre Paty.
L’auteur de l’attaque, Abdoullakh Anzorov, 18 ans, originaire de Tchétchénie en Russie, a été abattu par la police sur place.
Il a agi après avoir vu des informations sur les réseaux sociaux selon lesquelles Paty avait montré des caricatures du prophète Mahomet tirées du magazine satirique. Charlie Hebdo à sa classe lors d’une discussion sur les lois françaises sur la liberté d’expression.
Les adultes accusés d’avoir publié ces rapports, ainsi que d’autres personnes qui auraient aidé Anzorov à acheter une arme et à se rendre à l’école de Paty, seront jugés séparément en novembre prochain.
Quête pour comprendre
L’un des adolescents actuellement jugés, âgé de 13 ans il y a trois ans, est accusé d’avoir diffusé de fausses informations sur les actions de Paty.
Les cinq autres, alors âgés de 14 et 15 ans, auraient montré Paty à Anzorov en échange d’argent.
Les étudiants disent qu’ils n’avaient pas réalisé que la vie de Paty était en danger et qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de contribuer au meurtre.
Apprendre que des élèves faisaient l’objet d’une enquête pour avoir identifié Paty avec son agresseur constitue “un abus de confiance extrêmement brutal”, a déclaré à RFI l’avocat du groupe d’enseignants, Antoine Casubolo-Ferro.
“Nous sommes ici pour comprendre. Pour comprendre non seulement à travers ce que la presse nous dit, mais à travers tout ce qu’ils ont à dire les uns sur les autres”, a-t-il déclaré.
Les enseignants se sont également sentis responsables d’assister au procès pour le bien de Paty, selon Casubolo-Ferro.
“En étant présents, ils témoignent pour tous les enseignants de France, et pour tous les professeurs de l’école du Bois d’Aulne”, a-t-il déclaré.
“Et ils témoignent aussi de qui était Samuel Paty : l’un des leurs.”
Traumatisme
Certains de ses collègues ont surmonté le traumatisme de son assassinat en serrant les rangs, ont-ils déclaré à RFI.
“Depuis le lendemain de l’attaque, je retourne à l’école tous les jours”, a déclaré l’un d’entre eux.
“On avait l’impression que seuls nos collègues pouvaient comprendre ce qu’on avait vécu… Alors forcément, après, on ne s’imaginait pas vraiment ailleurs, dans une autre école, travaillant aux côtés de gens qui ne comprendraient pas forcément.”
Mais d’autres ne sont pas retournés en classe depuis.
Un enseignant, comme Paty, professeur d’histoire-géographie, a déclaré à RFI qu’il avait quitté la profession au lendemain du décès de son collègue.
“C’était difficile pour moi de m’imaginer encore enseigner des années après car avant, face à certaines situations, à certaines remarques des élèves, à certaines choses qui pouvaient arriver en classe, je pouvais désamorcer les choses avec un peu d’humour, un mot – et du coup Je n’étais plus sûr de pouvoir mettre mes émotions de côté”, a-t-il déclaré.
« Un métier dangereux »
Les conséquences continuent de toucher non seulement ceux qui ont enseigné aux côtés de Paty, mais aussi les enseignants de toute la France.
Le meurtre d’un autre enseignant, Dominique Bernard, en octobre de cette année, a ravivé les craintes que la tension entre la laïcité véhémente de la France et la résurgence de l’extrémisme religieux ne se manifeste violemment dans les écoles.
Comme Paty, Bernard a été poignardé à mort par un jeune Tchétchène exposé à l’islam radical.
“Enseigner devient un métier dangereux”, a déclaré à RFI l’un des enseignants présents au procès cette semaine.
“Ce qui s’est passé il y a trois ans a impacté notre façon d’enseigner, notre façon d’être. C’est comme ça pour nous à l’école du Bois d’Aulne, mais je pense que tous les enseignants de France se retrouveront en nous.”
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