Tout comme l’été connaît son lot d’amours de vacances, il renferme aussi des désaffections. « Seulement » 29 % des vacanciers français dormiront à l’hôtel pendant leur séjour cet été, contre 46 % en moyenne pour les Européens, selon le dernier baromètre d’Europ assistance*. L’Hexagone se classe même bon dernier. Un écart frappant et une tendance continue depuis plusieurs années, à en croire l’agence. Alors quoi, les Français n’aimeraient pas les Sofitel, le pot de confiture à l’abricot au petit-déjeuner parce qu’il n’y a plus celui à la fraise, les lits kingsize et les rooms services ? Pas sûr. Tentative d’explication.
Plus qu’un désaveu pour l’hôtel, il faut probablement y voir un amour pour les locations saisonnières, une passion franco-française : 39 % des vacanciers du pays font ce choix, contre 30 % en moyenne européenne. Et pour cause : la France compte quatre millions de résidences secondaires, indique le sociologue Jean Viard : « C’est bien plus, en proportion, que n’importe quel autre pays européen ». Ce spécialiste des temps sociaux et des vacances explique que « les Français ont quitté la campagne bien plus tard que dans les autres Nations, gardant pour la plupart leur maison. Sur les quatre millions de fermes que l’on comptait en 1945, 400.000 ont été transformées en locations saisonnières, sans parler de celles louées sous les radars ».
Vous les copains, je ne vous oublierais jamais
Ces nombreuses résidences secondaires amènent au second volet des logements préférés des Français en vacances : le bon vieux squatt chez les amis ou la famille. « Là aussi, la tendance en France est bien plus élevée qu’en Europe : 29 % des voyageurs optent pour cette option, une tendance en baisse par rapport à 2021 », indique Francine Abgrall, directrice de la Business Line Voyage chez Europ Assistance France. L’explication est simple : il est plus agréable d’aller dormir chez des amis qui habitent à Nice, Montpellier ou Argelès-sur-Mer plutôt qu’à Dresde, Leicester ou Namur. Selon une étude du ministère de l’Environnement en 2017, 8,1 millions de personnes en France vivent à moins de 10 km des côtes, dont 1,1 million à moins de 500 mètres. Corocic’eau, donc. « La majorité des Français ne quittent pas les frontières et profitent d’un pays relativement accueillant sur le littoral, avec des proches bien situés pour faire des économies de logement », abonde Jean Viard.
Et cela permet d’éviter une des contraintes de l’hôtel : les horaires imposés. « Les Français sont très attachés à l’indépendance et aux vacances libres, plus que dans la majorité des pays », abonde Danièle Küss, ancienne cheffe du pôle Développement international du tourisme au ministère des Affaires étrangères. Armelle Solelhac, fondatrice de SWiTCH, une agence de prospective et stratégie spécialisée dans le tourisme, enfonce le clou : « Les hôtels, ce sont des petits-déjeuners entre telle et telle heure, des horaires pour rentrer, pour partir… Peu de gens en sont friands en vacances. »
L’argent comme limite
S’ajoute un autre facteur : Les Français ont en moyenne des vacances plus longues que le reste des Européens, renseigne Francine Abgrall : 2,1 semaines contre 1,9. « Forcément, plus le séjour est long, plus l’hôtel devient irraisonnable en vue du prix », appuie Danièle Küss.
La réalité se trouve probablement plus ici : les Français et l’hôtel, ce n’est pas un désamour, mais peut-être un amour impossible. « Ce n’est pas parce qu’ils n’y vont pas qu’ils n’ont pas envie d’y aller, c’est qu’ils ne peuvent pas, estime Jean Viard. Beaucoup de Français rêvent de vacances à l’hôtel, souvent empêchés en raison du coût ou des enfants, peu compatibles avec ce type de logement. »
Choix contraint
Car comparativement aux autres pays, « l’hôtellerie est plus cher en France, car soumis à bien plus de contraintes techniques et légales. La location saisonnière apparaît de fait plus rentable », poursuit Armelle Solelhac. Sans compter le prix des repas : un hôtel dispose rarement d’une cuisine, contrairement aux autres types de logements saisonniers. Selon une étude de l’Ifop publiée en juin 2022 **, le prix de la location constitue le premier critère (73 %) pour le choix d’un hébergement, et le type de logement serait un critère pour moins d’un Français sur deux (49 %).
Un logement plutôt subi, donc, au grand dam de certains vacanciers – et surtout, malheureusement, de vacancières : « Les tâches ménagères sont bien plus présentes dans les locations saisonnières que dans les hôtels, et sont souvent attribuées aux femmes », regrette Danièle Küss. Et Jean Viard de conclure : « L’hôtel, c’est le fantasme, donc bien souvent inaccessible. Enfin bon, tant qu’il y a la mer, le principal est sauf. »
* L’édition 2022 du Baromètre des vacances d’Europ Assistance et d’Ipsos a été réalisée dans 15 pays dont les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Italie, la France, l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal, la Belgique, la Pologne, la République tchèque, la Thaïlande et l’Australie. Dans chaque pays, 1.000 consommateurs âgés de 18 ans et plus ont participé à un questionnaire en ligne. L’enquête a été menée entre le 26 avril et le 16 mai et portait sur les projets de vacances et les préférences de voyage des consommateurs.
** L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1.004 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.