Après les « Panama Papers » ou les « China Cables », c’est au tour de l’entreprise des Etats-Unis Uber de se retrouver dans le giron du Consortium international des journalistes d’investigation. Dimanche, l’organisation a publié les « Uber Files », provoquant une onde de choc jusque dans l’exécutif français. Mais quoi s’agit-il ? Pourquoi Emmanuel Macron est-il cité ? 20 Minutes fait le point pour vous et revient sur les cinq axes essentiels de ces révélations.
C’est quoi les « Uber files » ?
The Guardian, un quotidien britannique, a obtenu et partagé avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) quelque 124.000 documents, datés de 2013 à 2017, comprenant des e-mails et messages des dirigeants d’Uber à l’époque, ainsi que des présentations, notes et factures.
Dimanche, plusieurs organisations de presse (dont le Washington Post, Le Monde et la BBC) ont publié leurs premiers articles tirés de ces « Uber Files ». De Paris à Johannesburg, les « Uber Files » montrent la campagne de lobbying agressive de l’entreprise de VTC et des collusions avec de nombreuses personnalités politiques de premier plan, dont le président français Emmanuel Macron – alors ministre de l’Economie.
Quelles pratiques sont reprochées à Uber ?
Les « Uber Files » dévoilent des pratiques à la limite de la légalité, notamment le « kill switch ». Il s’agit d’un blocage d’urgence des données de l’entreprise afin d’éviter que la police n’ait accès à ces informations en cas de perquisition. D’après France Info, qui fait partie des médias partenaires, la pratique était courante pour Uber entre 2014 et 2015, alors qu’elle faisait l’objet d’une myriade de procédures judiciaires, en particulier en Europe. Cette méthode aurait été utilisée à 13 reprises entre novembre 2014 et décembre 2015 dans sept pays différents dont la France.
La firme états-unienne cherchait notamment à garder sa liste de chauffeurs anonyme. Avec une liste des conducteurs Uber, « c’est beaucoup plus facile pour les impôts, les régulateurs et la police de [les] terrifier et de les faire céder », explique un collaborateur d’Uber dans un mail révélé par France Info. Si, en externe, Uber affirme coopérer avec la justice, en interne c’est le branle-bas de combat pour faire obstruction au maximum aux enquêteurs. Le « kill switch » est organisé, les employés sont déconnectés après 60 secondes d’inactivité, les applications cryptées comme WhatsApp sont encouragées… Tout est pensé dans le but d’éviter de transmettre des informations aux enquêteurs judiciaires.
Les « Uber Files » dévoilent aussi des méthodes brutales et publient des messages de l’ancien patron Travis Kalanick alors que l’entreprise encourageait les chauffeurs à manifester à Paris. Certains cadres s’inquiétaient des risques pour les conducteurs. « Je pense que ça vaut le coup. La violence garantit le succès », leur a répondu le cofondateur d’Uber. Selon The Guardian, Uber a adopté des tactiques similaires dans différents pays européens (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie, etc.), mobilisant les chauffeurs et les incitant à se plaindre à la police quand ils étaient victimes agressions, afin d’utiliser la couverture médiatique pour obtenir des concessions des autorités.
Pourquoi Emmanuel Macron est-il pointé du doigt ?
Le chef de l’Etat, ministre de l’Economie de 2014 à 2016, aurait passé un « pacte secret » avec la société américaine. Nos confrères du Monde révèlent, SMS et comptes rendus de réunions à l’appui, l’existence d’une relation privilégiée entre Uber et Emmanuel Macron. Au moins 17 échanges « significatifs » ont eu lieu entre le président ou ses proches conseillers et les équipes d’Uber, affirme Le Monde. Certaines pratiques destinées à aider Uber à consolider ses positions en France, comme le fait de suggérer à l’entreprise de présenter des amendements « clefs en main » à des députés, sont aussi pointées du doigt.
Ainsi, la loi dite Macron 2 aurait été pensée partiellement pour l’entreprise américaine : certains décrets ont été pensés spécialement pour la firme comme la suppression des 250 heures de formation nécessaire pour devenir chauffeur et remplacée par une seule journée de formation. D’après le quotidien Le Monde, « plus qu’un soutien, Emmanuel Macron a été quasiment un partenaire ». La société Uber France a confirmé la tenue de réunions mais assure que ces rencontres « relevaient de ses responsabilités en tant que ministre de l’Économie et du Numérique supervisant le secteur des VTC ».
L’Elysée a, de son côté, indiqué que le chef de l’Etat, comme ministre de l’Economie, était « naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu’il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires ».
Comment l’opposition s’empare-t-elle de ces révélations ?
Pacte « secret » contre « toutes nos règles », « pillage du pays », etc. Les liens qui ont uni le président français et la société Uber ont indigné de nombreux élus de gauche. La patronne des députés LFI Mathilde Panot a dénoncé sur Twitter un « pillage du pays », Emmanuel Macron ayant été à la fois « conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail ».
Le numéro un du PCF Fabien Roussel a relayé des « révélations accablantes sur le rôle actif joué par Emmanuel Macron, alors ministre, pour faciliter le développement d’Uber en France », « contre toutes nos règles, tous nos acquis sociaux et contre les droits des travailleurs ». Le député LFI Alexis Corbière envisage la création d’une commission d’enquête parlementaire. De quoi ébranler un peu plus l’exécutif qui fait déjà face à une motion de censure à l’Assemblée nationale ce lundi.
Quelle est la réponse d’Uber ?
« Nous n’avons pas justifié et ne cherchons pas d’excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu’entreprise », a indiqué Jill Hazelbaker, vice-présidente chargée des Affaires publiques d’Uber, dans un communiqué en ligne. « Nous demandons au public de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir », a-t-elle ajouté.
Sur le « kill switch », la multinationale souligne que « ces logiciels n’auraient jamais dû être utilisés pour contrecarrer des actions réglementaires légitimes » mais ne « conteste pas le fait que ce type de logiciel ait pu être utilisé en France ». L’entreprise s’excuse mais sa stratégie consiste à charger l’ancienne équipe dirigeante et notamment l’ex-patron Travis Kalanick, qui a quitté la firme en 2017.