Les romantiques du vélo, ceux qui rêvaient Thibaut Pinot victorieux à Hautacam, y ont un peu cru. Emmanuel Macron, présent dans la voiture du directeur de la course, aussi. Disons-le franchement : quand le Français prend un relais appuyé au pied de l’ultime montée du Tour de France 2022 devant Van Aert et Martinez, ça sent même carrément bon. Mais jeudi, il n’y avait de place que pour les Jumbo-Visma. Alors le Belge a attaqué et décramponné le Français, qui ne peut que s’incliner sur la ligne. « Il est parti dès le départ, au km 0, rappelait Pinot au micro de France TV. Et quand je l’ai vu faire le train dans le col, j’ai compris qu’il était dans une très, très bonne journée. J’étais déjà content de basculer avec lui. J’ai fait ce que j’ai pu. »
Pareil pour Tadej Pogacar, et bien plus encore. Contrairement à la veille, le Slovène n’a pas pu compter bien longtemps sur son bras droit McNulty, alors il a pris les choses en main dans la montée des Spandelles. Une attaque, puis une autre, puis une autre. En vain. Jonas Vingegaard ne prend jamais plus d’une roue de retard.
Vingegaard s’est « bien amusé »
Si ça ne marche pas dans un sens, pourquoi ne pas essayer dans l’autre ? Alors Pogi repart à l’offensive dans la descente. Le Danois dérape mais ne tombe pas. Son dauphin aurait aimé en dire autant, c’était sans compter sur ce virage trop large et cette relance malheureuse qui l’envoie au tapis. La scène se passe au ralenti, rien de méchant. Pogacar repart en catastrophe, attendu par son bourreau dans un acte de fair-play que n’autorise qu’une infinie confiance en ses capacités. Les deux hommes se serrent la main, la bromance est totale. Le sport, c’est beau. Vingegaard, à France TV :
« On s’est rien dit, c’est plus une question de respect, on s’est regardés. On s’amusait bien. On s’aime bien, Tadej et moi, on s’entend bien et je le respecte. »
Au delà de la symbolique du champion déchu, il convient néanmoins de se demander si la chute n’est finalement pas anecdotique. En prenant un peu de recul, les Jumbo-Visma, totalement absents la veille, ont tissé le piège parfait en envoyant Wout Van Aert aux avant-postes dès le départ réel. Le Belge était en mission. « C’était vraiment une journée folle pour moi. Je sais que je peux être très fort dans un bon jour de montagne quand je suis concentré. Hier, c’était bon de comprendre qu’UAE était là avec de bons objectifs, pour moi c’était le signe qu’il fallait aller au bout. C’est ce que j’ai dit à l’équipe, qu’il fallait aller au bout tous ensemble. C’était le plan d’aller chercher l’étape avec Jonas. Et avec Tiesj [Benoot] et moi dans l’échappée, c’était idéal. »
« Vous avez vu, il a lâché Pogacar ! »
Idéal, car quand Pogacar attaque dans le peloton des favoris, c’est à double-tranchant. Fatiguer Vingegaard, oui, mais à quoi bon, si c’est pour le ramener dans la roue du mutant Van Aert ? La suite le prouvera. Dans un ultime effort, c’est le génie flamand qui crucifie le double vainqueur du Tour avant d’envoyer son leader au paradis. Vingegaard salue l’exploit après l’étape. « Vous avez vu, il a lâché Pogacar ! »
« Notre directeur sportif nous a dit dans la radio que Pogacar était peut-être un peu dans le dur après sa chute, explique Van Aert. Et puis aujourd’hui, les pentes étaient plus longues et plus raides, c’était mieux pour nous. »
Après tout Vingegaard n’est pas maillot à pois pour rien, même s’il n’a pas l’air d’y attacher plus de valeur que ça. « Je n’y pensais pas, c’était pas un objectif, mais c’est un bon petit bonus. » Simon Geschke, son désormais détenteur, en complète perdition aujourd’hui, appréciera. Jusqu’au bout, l’ami Jonas aura donc dégoûté tout le monde.