Pourquoi la relance des anciennes cultures est essentielle pour sauver les sols dégradés de l'Afrique


Des sols fertiles sont essentiels pour répondre à la demande mondiale croissante de nourriture. Alors que l’Afrique est en passe de devenir le continent le plus peuplé d’ici la fin du siècle, il est toujours urgent de réparer ses sols érodés, a déclaré l’envoyé spécial américain pour la sécurité alimentaire, Cary Fowler.

RFI : Il y a un an, les États-Unis lançaient le programme Vision for Convient Crops and Soils (Vacs), qui promeut le retour aux cultures traditionnelles. De quoi s'agit-il?

Cary Fowler : Son objectif est de travailler sur les deux aspects les plus fondamentaux de la sécurité alimentaire : les cultures et les sols. Si vous voulez avoir la sécurité alimentaire et qu'elle soit durable, vous devez vous assurer d'avoir des sols bons et fertiles et des cultures adaptées au changement climatique.

Ce n’est pas ce que nous avons aujourd’hui en Afrique, qui est le continent qui en a le plus besoin. Ce sera également le continent le plus peuplé d’ici la fin du siècle. Les sols africains sont parmi les plus pauvres au monde, très dégradés et érodés.

Un agriculteur laboure un champ sur son tracteur à Shendi, sur les rives du Nil, à 190 kilomètres de Khartoum, le 5 octobre 2023. AFP

RFI : Pourquoi ça ?

FC : C'est le résultat d'un certain nombre de facteurs, tels qu'une mauvaise structure du sol et des méthodes agricoles qui n'ont pas tendance à maintenir le sol en place. Avec un tel taux d’érosion et de dégradation des sols, vous ne construisez pas un système agricole durable et productif à long terme.

L’Afrique possède de nombreuses cultures traditionnelles et indigènes très nutritives. Cela pourrait être utilisé pour réellement améliorer la nutrition et la santé des Africains.

Aujourd'hui, 40 pour cent de la population mondiale n'a pas les moyens de se nourrir sainement. En Afrique, c'est 80 pour cent. Pourtant, vous disposez de merveilleuses cultures indigènes très riches en qualités comme le fer. Le fonio, un mil cultivé en Afrique de l'Ouest, contient par exemple 10 fois plus de fer que le maïs.

Si nous pouvions augmenter la productivité de ces cultures et les intégrer plus pleinement dans l’alimentation africaine, nous pourrions résoudre des problèmes tels que le retard de croissance chez l’enfant.

L'agricultrice Amina Guyo prépare un ragoût à base de niébé pour le repas principal de la journée dans sa maison du quartier d'Uran, Moyale, Kenya, le 6 juillet 2021. AFP – LUIS TATÔ

RFI : Il y a cinquante ans, la Banque mondiale et le FMI poussaient les pays africains à cultiver des monocultures pour l'exportation. Qu'est ce qui a changé?

FC : Nous avons tous réalisé, et les pays africains eux-mêmes l'ont certainement compris, que nous devons promouvoir une production accrue de produits agricoles – mais d'une manière plus résiliente. Et la résilience ne vient pas vraiment du fait de se concentrer sur une culture à l’exclusion de toutes les autres.

Nous ne disons pas que les agriculteurs ne devraient pas cultiver certaines des cultures de base qu'ils cultivent aujourd'hui ; nous disons que nous devrions enrichir ce panier alimentaire – en particulier avec des légumineuses et des légumes et fruits essentiels – si nous voulons lutter contre les taux vraiment effroyables de retard de croissance chez les enfants.

Ils resteront physiquement et mentalement retardés pour le reste de leur vie et on ne peut pas développer une société avec ce genre de handicap.

RFI : Comment va fonctionner le programme Vacs ?

FC : Un certain nombre de scientifiques africains ont été formés et travaillent pour des programmes nationaux de recherche agricole sur ces cultures particulières. Nous voulons leur apporter le type de soutien nécessaire pour effectuer la sélection végétale nécessaire pour augmenter la production et réduire les problèmes de ravageurs et de maladies.

Les nouvelles mères de nourrissons souffrant de malnutrition participent à un cours sur l'allaitement maternel au centre de santé maternelle et infantile Danwagaag à Baidoa, en Somalie, le 9 novembre 2022. AFP – GUY PETERSON

RFI : Vous parlez de crossover. Vous parlez de plantes génétiquement modifiées ?

FC : Probablement pas, car la plupart des pays d’Afrique ne le permettent pas. C'est une façon coûteuse de procéder. Je pense que l’approche qui sera principalement utilisée sera la sélection végétale traditionnelle, comme elle l’a été au fil des siècles.

RFI : Cela signifie-t-il que les agriculteurs devront acheter les semences ?

FC : Les agriculteurs disposeront de différentes voies pour accéder à ces types de semences. Je pense que les organisations non gouvernementales vont être impliquées. Dans certains de ces cas, les semences seront fournies gratuitement.

Peut-être sera-t-il demandé aux agriculteurs de conserver une certaine partie de leurs semences, non seulement pour les replanter l'année suivante, mais aussi pour les partager avec le programme afin qu'elles puissent être distribuées à d'autres agriculteurs.

Il se peut que des petites et moyennes entreprises semencières vendent les semences.

Une chose que nous voulons faire est d'améliorer le travail de la chaîne de valeur dans ce domaine afin qu'il y ait un meilleur marché qui permette à ces types de cultures nutritives d'être utilisées dans les programmes d'alimentation scolaire, par exemple, et dans les industries de transformation. Si nous créons ce genre de marché et de demande, cela encouragera les agriculteurs à les cultiver.

Un étudiant ensemence les terres de sa famille dans le village de Wereb Michael, en Éthiopie, le 21 juin 2021. AFP – EDUARDO SOTERAS

RFI : Comment allez-vous convaincre ces agriculteurs de cultiver des plantes traditionnelles, après des décennies de monoculture ?

FC : Ce qui est intéressant, c'est que les agriculteurs n'ont jamais abandonné ces cultures, elles y sont donc cultivées depuis 10 000 ans.

Ils ont dû faire quelque chose de bien. Il est intéressant de noter que la plupart de ces cultures sont cultivées par des femmes, elles n'apparaissent donc pas beaucoup dans les statistiques car il s'agit de cultures potagères.

Nous voulons simplement les rendre plus productifs afin qu’ils puissent être compétitifs sur le marché et obtenir la part qui leur revient dans l’alimentation.

RFI : Cela fait un an que le programme a été lancé. Quelles sortes de réactions avez-vous eu ?

FC : La réponse est vraiment bonne. Le Fonds international de développement agricole a mis en place une plateforme de financement à cet effet.

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a déclaré vouloir généraliser cette approche. Nous avons obtenu des financements du Japon, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Norvège.

Nous sommes donc ici pour en parler aux responsables français. Et nous avons besoin d’un soutien politique, financier et technique. La France dispose d'institutions de recherche qui sont vraiment de classe mondiale et qui pourraient aider à cet égard.

Un employé de Sasini travaille dans un champ de thé à Kipkebe Tea Estate, près de Musereita, au Kenya, en octobre 2022. AFP – PATRICK MEINHARDT

Vous avez besoin d'un soutien politique. Qu’en disent les pays africains que vous avez approchés ?

L'Union africaine elle-même a déclaré qu'il y avait un sous-investissement massif dans ces cultures. Il existe donc déjà un soutien politique global important.

Je pense que de nombreux pays africains se rendent compte qu’étant donné leurs graves problèmes, notamment en matière de retard de croissance chez les enfants et de nutrition en général, quelque chose doit changer.

Ils ont les bases de ce changement là même, dans leurs pays, dans ces cultures traditionnelles. Il y a donc beaucoup de soutien pour ce type d’initiative.


Cette interview a été légèrement modifiée pour plus de clarté

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