Il fut un temps où les pays européens avancés, comme la France et le Royaume-Uni, se moquaient des autres nations qui peinaient à former des gouvernements.
L’Italie a été un récidiviste dans les années 1960 et 1970 ; et plus récemment, il y a eu une période où la Belgique est restée sans gouvernement pendant des mois sans que personne ne semble s’en apercevoir.
Constitutionnellement, cela ne peut pas se produire en Grande-Bretagne : l’ancienne maxime selon laquelle « le gouvernement du roi doit être maintenu » signifie qu’une fois que vous avez un Premier ministre, il ou elle reste en place jusqu’à ce qu’un autre soit nommé.
Depuis 1812, année de l’assassinat de Spencer Perceval, aucun Premier ministre n’est mort en exercice et n’a mis à l’épreuve cette théorie ; même si cela devait arriver, un remplaçant serait immédiatement trouvé, en attendant l’élection d’un successeur par le parti au pouvoir.
Mais les choses sont devenues quelque peu difficiles en France depuis la décision irréfléchie du président Macron de convoquer des élections législatives le dernier dimanche de juin et le premier dimanche de juillet.
Le résultat n’était pas celui qu’il souhaitait : il semblait penser qu’il pouvait faire du chantage moral au peuple français pour qu’il choisisse une Assemblée nationale avec laquelle lui et ce qu’il appelle le « consensus » se sentiraient à l’aise : mais malheureusement pour lui, il s’est trompé.
Son arrogance est allée un peu trop loin cette fois-ci. Au premier tour, Rassemblement national Le (RN) – un parti généralement qualifié d’« extrême droite »* mais qui est en réalité simplement poujadiste, et pas même aussi à droite que le mouvement de Poujade dans les années 1950 – était clairement en tête.
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Cela a paniqué tout le monde, et ils se sont ligués contre le RN pour l’empêcher d’obtenir de si bons résultats au second tour.
Le vote tactique n’a pas porté ses fruits
Leur vote tactique a été un succès total, dans la mesure où il a empêché Marine Le Pen, Jordan Bardella et leurs associés de prendre le contrôle du gouvernement parlementaire français.
Mais ce fut un désastre dans la mesure où il mit au premier plan une coalition de gauche dans laquelle se trouvait le candidat de Jean-Luc Mélenchon. La France insoumise est devenu un acteur majeur et a commencé à revendiquer le droit d’avoir un Premier ministre.
Et c’est à ce moment-là que M. Macron lui-même a paniqué.
La France découvre un nouveau stratagème constitutionnel : il s’appelle les Jeux Olympiques.
Alors que le pays montait la scène de ce qu’il espérait être le succès et l’unité aux Jeux de Paris, le président était déterminé à ce que la laideur de la politique et la crise politique qu’il avait, plus que tout autre individu, tant contribué à créer, ne viennent pas gâcher ce défilé particulier.
Il a déclaré que la nomination du Premier ministre devrait attendre après les Jeux olympiques.
Mais même une fois ces travaux terminés, les progrès étaient lents.
Des parties en désaccord permanent
Une chose est cependant devenue claire : tout comme aucun des autres partis n’était prêt à accepter la domination du RN au Assemblée nationaleet ils n’étaient pas prêts à accepter un Premier ministre qui avait quelque chose à voir avec M. Mélenchon ou La France insoumise (LFI).
Cela s’est avéré être une mauvaise nouvelle pour l’une des jeunes femmes politiques les plus ambitieuses de France, Lucie Castets.
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Mme Castets, 37 ans, était la candidate de la gauche, dont LFI, à Matignon, mais elle a été farouchement contestée par tous les autres.
Elle n’est pas membre de la Assemblée nationalemais un haut fonctionnaire.
M. Macron a déclaré que ce n’était pas la question de savoir qui elle était qui l’empêchait de la nommer même s’il avait désespérément besoin d’un Premier ministre ; c’était ce qu’elle représentait.
Ses politiques comprennent des hausses d’impôts massives et l’annulation de toutes les réformes des retraites de Macron, qui étaient absolument nécessaires pour empêcher l’économie française de devenir incontrôlable.
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Quant à elle personnellement, Mme Castets est une figure centrale du socialisme moderne.
Fille de deux psychanalystes, elle est aujourd’hui mariée et a un enfant avec une autre femme ; elle est très instruite, pas seulement à la manière conventionnelle d’un fonctionnaire français, mais elle parle aussi anglais et chinois (elle a étudié à la London School of Economics et à Shanghai ainsi qu’à l’ENA).
Elle a quitté le Parti socialiste au début de sa vingtaine, en grande partie parce qu’elle ne considérait pas que la politique de François Hollande en tant que président était suffisamment à gauche.
Elle est ensuite devenue conseillère d’Anne Hidalgo, la maire de Paris. Ce n’est pas le moindre des mépris que les partis du centre et de centre-droit portent à Mme Hidalgo pour sa gestion de Paris qui fait d’elle une association toxique pour Mme Castets.
Pas de nouveau Premier ministre en vue
Rien de tout cela ne devrait finalement l’empêcher de devenir Premier ministre ; à l’heure où nous écrivons ces lignes, cette décision reste à prendre, car un jeu de bluff et de contre-bluff se joue entre le président et le gouvernement. Assemblée nationale. (Note de l’éditeur : le président a annoncé le lundi 27 août, après la publication de l’article de M. Heffer, que Mme Castets ne serait pas nommée comme nouveau Premier ministre.)
M. Macron parlait, avant de devoir nommer un Premier ministre, d’en trouver un par la voie du « consensus ».
En vérité, la tâche de trouver ce consensus incombait autant aux parlementaires qu’à M. Macron.
Après tout, il ne peut y avoir de nouvelles élections parlementaires avant la fin du mois de juin de l’année prochaine au plus tôt, donc les parlementaires sont coincés avec M. Macron tout autant que lui avec eux, et la France a besoin d’être gouvernée.
M. Macron cherchait un Premier ministre pour diriger un groupe qui ne tomberait pas à la première motion de censure, selon ses proches.
Mme Castets a déclaré après avoir rencontré Macron le 23 août qu’elle lui avait dit que le peuple français avait exigé un changement de direction, et qu’elle attendait de lui, dans sa nomination d’un Premier ministre, qu’il respecte cela.
Le problème est que le RN, arrivé en tête au premier tour, pourrait tout aussi bien affirmer que ce changement de direction devrait lui être favorable.
Au moment où vous lirez ces lignes, M. Macron aura peut-être sorti un lapin de son chapeau. Quant à savoir si ce lapin pourra continuer à courir, c’est une toute autre affaire.
* NDLR : En mars, le Conseil d’Etat, juridiction administrative suprême, a rejeté une plainte du RN contre le ministère de l’Intérieur qui l’avait classé comme parti d’extrême droite aux élections sénatoriales de 2023. Il n’a trouvé aucune erreur flagrante dans cette décision du ministère.