Les ports normands de la Manche seront concernés par la mise en place des contrôles aux frontières du nouveau système européen d’entrée/sortie à partir du 10 novembre.
La connexion s’est entretenu avec Jérôme Chauvet, directeur du développement et de la promotion de Ports de Normandie, sur les enjeux et ce à quoi les voyageurs peuvent s’attendre lorsque l’EES sera lancé.
Le manque de possibilité de tester de nouveaux systèmes, les files d’attente plus longues et les nouveaux coûts font partie des inquiétudes des ports, même s’ils affirment que novembre est une période assez calme, donc un bon choix pour une date de début.
L’EES est un nouveau système de contrôles numériques aux frontières extérieures de l’espace Schengen, comme entre le Royaume-Uni et la France, où les voyageurs doivent fournir les détails de leur passeport et faire prendre leurs données biométriques (image du visage et empreintes digitales) et les saisir dans une base de données de l’UE.
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Une fois qu’une entrée dans la base de données a été effectuée, elle sera valable trois ans, les passagers n’ayant pas à fournir à nouveau les deux types de données biométriques lors des entrées/sorties ultérieures pendant cette période.
L’objectif est de mieux contrôler l’entrée et la sortie des voyageurs non-UE/EEE/Suisse vers et depuis l’espace Schengen et de vérifier automatiquement leur respect de la règle des 90/180 jours dans le cas des ressortissants qui n’ont pas besoin de visas de court séjour pour visiter l’espace.
Les citoyens non européens vivant dans des pays Schengen comme la France ne seront pas concernés par l’EES mais pourront être pris dans des files d’attente plus longues, et de nouvelles procédures administratives seront mises en place pour les familles avec enfants.
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Ports de Normandie couvre Cherbourg, Caen-Ouistreham et Dieppe, desservis en transmanche par Brittany Ferries et DFDS, ainsi que Irish Ferries et Stena Line pour l’Irlande. EES concernera notamment les traversées vers le Royaume-Uni, mais aussi les visiteurs non-UE/EES/Suisses sur des trajets Irlande-France, l’Irlande étant hors de l’espace Schengen.
Nous comprenons que le 10 novembre est la date de début maintenant ?
Oui, mais il y a déjà eu pas mal de reports – même si on nous dit qu’il n’y en aura plus. On verra ce qui se passera.
Les grands aéroports, ainsi que Eurotunnel et Eurostar, installent des bornes où les passagers pourront pré-enregistrer certaines données avant de se rendre au poste des gardes-frontières, et Douvres et Calais prévoient d’utiliser des tablettes qui seront remises aux passagers en voiture. Est-ce que la même chose est prévue dans vos ports ?
Il s’agira principalement de tablettes en raison de la nature de notre trafic.
Les piétons représentent moins de 10% de ce nombre. Ils seront récupérés par une navette au port qui les conduira au terminal des ferries où ils s’enregistreront au préalable aux bornes avant de se rendre aux contrôles d’immigration où un garde-frontière les contrôlera.
Les passagers en voiture seront préenregistrés pendant qu’ils attendent dans la file d’attente pour passer la frontière. Un membre du personnel muni d’une tablette s’approchera d’eux et la leur remettra. Ils ne seront pas autorisés à sortir de la voiture.
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Que va-t-il se passer avec les entraîneurs ?
Cela dépendra du port, par exemple à Caen-Ouistreham il y aura un endroit spécifique pour accueillir les cars où les gens descendront et il y aura un kiosque. A Dieppe ils iront dans des kiosques à la gare maritime.
Quelles données devront être fournies aux bornes ? Y aura-t-il une option en anglais ?
Le problème pour l’instant, c’est que nous n’avons pas encore fait de tests. Au moment du Brexit, il y a eu un dialogue assez approfondi sur les nouvelles procédures douanières avec les Douanes, avec des tests à blanc, au moins deux dans chaque port, pour que nous puissions apprendre et faire des corrections. Dans ce cas, il n’y a pas eu de tests du tout.
Est-ce que ce sera la police aux frontières – Paf – ou les Douanes qui procéderont aux contrôles ?
Cela dépend des ports. A Cherbourg, c’est le Paf, à Ouistreham et à Dieppe, ce sont les Douanes. Il n’y a pas eu de test dans aucun port, donc on ne connaît pas encore bien le matériel et son fonctionnement. On n’a pas beaucoup de connaissances sur les interfaces des kiosques. On va découvrir tout ça en vrai au fur et à mesure.
Ils prendront une image du visage, par exemple ?
Oui, photo du visage, plus empreintes digitales lors de la première entrée sur le territoire. Le passager passera ensuite devant le garde-frontière qui vérifiera que les empreintes digitales saisies quelques minutes avant correspondent aux empreintes de la personne passant la frontière.
Nous avons entendu d’autres fournisseurs de transport dire que les kiosques sont censés poser des questions sur les voyages (hébergement, fonds suffisants pour le voyage, etc.). Est-ce le cas dans vos ports ? Cela ne prendra-t-il pas plus de temps ?
Je n’ai pas entendu cela, mais notre grande préoccupation est le temps que prendront ces procédures. Si les passagers doivent répondre à de telles questions, il leur faudra plus de temps pour passer la frontière, ce qui n’est pas une bonne nouvelle.
Le kiosque prendra-t-il les informations du passager via un scan ?
Le passeport sera scanné par le garde-frontière à la frontière. Je ne crois pas qu’il y aura de scan avant.
Ils devront donc saisir manuellement leurs données personnelles ?
Il sera nécessaire de fournir des informations « biographiques » telles que le nom, la date de naissance, le sexe, etc. Je ne sais pas exactement comment elles seront prises en compte par le kiosque ou la tablette.
Êtes-vous équipés de tablettes et de bornes ?
Oui, le gouvernement les a fournis et ils sont prêts.
Ce qui nous coûte le plus cher, c’est d’installer des auvents pour protéger les agents qui distribuent les tablettes et d’assurer les bonnes conditions de prise des données biométriques.
Un autre investissement consiste à installer une signalisation pour orienter les gens selon qu’ils sont « UE » ou « non UE ». À Dieppe, nous allons créer une file d’attente supplémentaire pour permettre au plus grand nombre possible de postes de garde-frontières d’accélérer les choses là où nous le pouvons.
De plus, l’aspect le plus fastidieux est que le personnel qui distribuera les tablettes et expliquera leur utilisation sera recruté par les ports.
Nous n’avons que trois escales par jour, par exemple à Ouistreham, à 6h00, à 15h30 et à 22h00. Nous ne pourrons pas utiliser la même recrue car la période est trop longue. Ils ne seront nécessaires que pendant deux heures environ et devront parler anglais. Le recrutement sera compliqué et potentiellement coûteux pour nous.
Nous estimons que les coûts s’élèveront à plusieurs centaines de milliers d’euros par an et par port. Nous allons discuter avec les compagnies de ferry car nous pensons que, idéalement, elles devraient absorber ces coûts et éventuellement les récupérer dans le prix du billet.
La Paf et les Douanes ont-elles recruté davantage d’agents ?
On ne sait pas. Ils disent qu’ils font de leur mieux.
Les compagnies de traversiers devront-elles communiquer les exigences à leurs passagers ?
Oui, la communication sera importante, afin que les passagers sachent qu’une procédure spéciale sera appliquée à leur arrivée. Ils devront également signaler les véhicules « UE » et « hors UE ».
Y aura-t-il une procédure spécifique pour les citoyens « non européens » qui résident en France ?
L’EES ne s’appliquera pas aux personnes titulaires d’un visa de long séjour. En principe, ils n’auront pas besoin de se soumettre aux procédures de pré-enregistrement, mais quant à la file d’attente vers laquelle nous les dirigerons…
Ils devront donc peut-être rejoindre la file d’attente « hors UE », mais sans pour autant fournir les données EES ?
Oui. Et comme il n’y a pas de place pour garer les voitures pour la préinscription, il faudra le faire dans les files d’attente en direction de la sortie. Ces personnes devront donc sans doute attendre avec les autres et peut-être plus longtemps.
Les personnes se rendant au Royaume-Uni devront-elles arriver plus tôt que maintenant ?
Il y aura toujours une procédure EES à faire, avec au moins une des données biométriques à reprendre, mais on est moins inquiets que pour les arrivées, car les gens arrivent généralement assez tôt, et pas tous ensemble.
Nous sommes plus inquiets pour les arrivées en provenance du Royaume-Uni, car nous ne savons pas si les tablettes fonctionneront bien. On nous dit qu’il faudra en moyenne une minute et demie de plus par voiture. Aujourd’hui, c’est environ 30 à 45 secondes, donc le temps nécessaire va augmenter considérablement.
De plus, la tablette enregistrera les données biographiques et biométriques et les enverra à une base de données européenne et lorsque la voiture arrivera au poste de garde-frontière, celui-ci validera les données en vérifiant la base de données. Est-ce que tout cela fonctionnera bien ? Nous ne savons pas encore ce qui nous préoccupe.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’opportunités de tests ?
De nombreux pays ont mis du temps à se préparer et à faire fonctionner correctement les tablettes. En France, nous avons eu les Jeux olympiques et paralympiques, donc le ministère de l’Intérieur s’est concentré sur cela et a déclaré qu’il ne devrait pas y avoir de tests entre mai et septembre. La combinaison de la préparation technique et des Jeux est donc la raison pour laquelle nous n’avons pas eu l’occasion de procéder à des tests dans les ports.
Vous espérez donc que tout se passera bien, mais vous avez des inquiétudes ?
Exactement. Mais nous sommes satisfaits du fait que les ports ne sont pas trop fréquentés en novembre – les flux de passagers sont très réduits. Ce n’est pas forcément le cas dans les aéroports où le trafic d’affaires est important à cette période.
Une application téléphonique européenne est apparemment en cours de préparation pour aider à la préinscription. Le saviez-vous ?
Oui, mais ce n’est pas très clair.
Ce que nous souhaiterions, c’est que l’enregistrement préalable (des passagers à l’arrivée) se fasse au port d’embarquement, ou sinon à bord. Il y a au moins trois heures pendant le voyage où cela pourrait être fait.
Il y a deux problèmes. D’abord, il faut qu’un garde-frontière soit présent pour superviser l’opération de pré-enregistrement. Une cabine supplémentaire sera donc installée à mi-chemin de nos files d’attente à cet effet.
Deuxièmement, il faudrait un garde-frontière (français) du côté britannique, ce qui nécessite un traité qui n’existe pas actuellement (NDLR : ce dispositif existe déjà à Douvres, mais pas dans d’autres ports de ferry britanniques). Ou bien il faudrait un garde-frontière sur le ferry, ce qui impliquerait des coûts de personnel accrus, et nous sommes déjà confrontés à une pénurie de gardes.
En ce qui concerne l’application, le gouvernement français affirme que c’est la Commission européenne qui bloque les choses. En même temps, nous entendons que la Commission dit qu’elle va la rendre disponible, nous ne sommes donc pas sûrs de la position réelle.
Il semble que le cadre juridique permettant aux gens d’utiliser eux-mêmes une application pour se préinscrire n’est pas très clair ?
C’est exact. Je comprends qu’il existe également des problèmes techniques liés à la sécurité des données si des données biométriques sont envoyées via un téléphone.
Les compagnies de traversiers font-elles ce qu’elles peuvent pour se préparer ?
Oui. Nous travaillons ensemble pour que tout se passe le mieux possible. Et six mois plus tard, les compagnies devront également vérifier que leurs passagers disposent du droit (Etias) de voyager dans l’espace Schengen.