Un rapport accablant sur un incendie meurtrier dans un immeuble de Londres a révélé mercredi que des décennies d’échecs de la part du gouvernement, des régulateurs et de l’industrie ont transformé la tour Grenfell en un « piège mortel » où 72 personnes ont perdu la vie.
L’enquête publique de plusieurs années sur l’incendie de 2017 a conclu qu’il n’y avait pas de « cause unique » à la tragédie, mais a déclaré qu’une combinaison d’entreprises malhonnêtes, de régulateurs faibles ou incompétents et d’un gouvernement complaisant a transformé un petit incendie d’appartement en l’incendie le plus meurtrier sur le sol britannique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le chef de l’enquête, le juge à la retraite Martin Moore-Bick, a déclaré que les décès des victimes étaient tous évitables et que « ceux qui vivaient dans la tour ont été gravement trahis pendant plusieurs années » par de nombreuses personnes et organisations.
Si le rapport peut apporter aux survivants certaines des réponses qu’ils recherchent depuis longtemps, ils doivent encore attendre de voir si les responsables seront poursuivis. La police examinera les conclusions de l’enquête avant de décider des chefs d’accusation.
L’incendie s’est déclaré aux premières heures du 14 juin 2017 dans un appartement du quatrième étage et s’est propagé dans l’immeuble de 25 étages comme une mèche allumée, alimentée par des panneaux de revêtement inflammables sur les murs extérieurs de la tour.
« Comment a-t-il été possible qu’au XXIe siècle, à Londres, un bâtiment en béton armé, lui-même structurellement invulnérable au feu, se transforme en piège mortel ? », se demandait le rapport. Et de conclure : « Il n’y a pas de réponse simple à cette question. »
Les accusations criminelles ne sont pas claires
Sandra Ruiz, dont la nièce de 12 ans, Jessica Urbano Ramirez, est décédée dans l’incendie, a déclaré que « pour moi, il n’y a pas de justice sans que les gens soient derrière les barreaux ».
« Nos vies ont été brisées cette nuit-là. Les gens doivent rendre des comptes », a-t-elle déclaré. « Les gens qui ont pris des décisions faisant passer le profit avant la sécurité des gens doivent être derrière les barreaux. »
La police enquête sur des dizaines de personnes et d’entreprises et envisage de porter des accusations, notamment pour homicide involontaire, commis par une personne ou une entreprise. Mais elle estime qu’il est peu probable que des poursuites soient engagées avant fin 2026.
« Je ne peux pas prétendre imaginer l’impact d’une enquête policière aussi longue sur les personnes en deuil et les survivants, mais nous avons une chance de bien mener notre enquête », a déclaré le commissaire adjoint Stuart Cundy de la police métropolitaine.
Construite en béton dans les années 1970, la tour Grenfell avait été recouverte lors d’une rénovation dans les années précédant l’incendie d’un revêtement en aluminium et en polyéthylène – une couche d’isolation en mousse surmontée de deux feuilles d’aluminium prises en sandwich autour d’une couche de polyéthylène, un polymère plastique combustible qui fond et coule lorsqu’il est exposé à la chaleur.
Le rapport critique vivement les entreprises qui ont fabriqué le revêtement du bâtiment. Il affirme qu’elles ont fait preuve de « malhonnêteté systématique », manipulant les tests de sécurité et dénaturant les résultats pour prétendre que le matériau était sûr.
Le fabricant d’isolants Celotex a fait preuve de peu de scrupules et une autre entreprise d’isolation, Kingspan, a « cyniquement exploité le manque de connaissances détaillées du secteur ». Le fabricant de panneaux de revêtement Arconic a « dissimulé au marché la véritable ampleur du danger ».
Le revêtement combustible a été utilisé sur le bâtiment parce qu’il était bon marché et en raison de « l’incompétence des organisations et des individus impliqués dans la rénovation » — y compris les architectes, les ingénieurs et les entrepreneurs — qui pensaient tous que la sécurité était la responsabilité de quelqu’un d’autre, selon le rapport.
L’enquête a conclu que les manquements se sont multipliés parce que les organismes chargés de faire respecter les normes de construction britanniques étaient faibles, que l’autorité locale n’était pas intéressée et que le gouvernement britannique « complaisant » dirigé par les conservateurs a ignoré les avertissements de sécurité en raison d’un engagement en faveur de la déréglementation.
« Les recommandations publiées aujourd’hui sont des principes de sécurité de base qui devraient déjà exister, soulignant à quel point les rôles, les devoirs et les obligations du gouvernement ont été vidé de leur substance par la privatisation », a déclaré Grenfell United, un groupe de défense formé par des proches de victimes, dans un communiqué.
Le rapport initial a souligné les défaillances de la réponse aux incendies
L’enquête a tenu plus de 300 audiences publiques et examiné environ 1 600 témoignages. Un premier rapport publié en 2019 critiquait les pompiers pour avoir conseillé aux résidents de rester dans leurs appartements et d’attendre les secours. Cette recommandation a été modifiée près de deux heures après le début de l’incendie, trop tard pour que de nombreuses personnes des étages supérieurs puissent s’échapper.
Les pompiers de Londres ont été de nouveau critiqués pour leur « manque chronique de gestion et de leadership efficaces ». Le rapport indique que les pompiers n’ont pas été suffisamment formés pour gérer un incendie dans un immeuble de grande hauteur et qu’ils ont reçu un équipement de communication obsolète qui ne fonctionnait pas correctement.
Grenfell était un immeuble de logements sociaux situé dans l’un des quartiers les plus riches de Londres, à deux pas des boutiques de luxe et des maisons élégantes de Notting Hill. De nombreuses victimes étaient des gens de la classe ouvrière d’origine immigrée.
Les victimes venaient de 23 pays et comptaient des chauffeurs de taxi et des architectes, un poète, un jeune artiste de renom, des retraités et 18 enfants. Mais, selon le rapport, l’enquête n’a « trouvé aucune preuve que l’une quelconque des décisions ayant abouti à la création d’un bâtiment dangereux ou à la propagation catastrophique d’un incendie ait été influencée par des préjugés raciaux ou sociaux ».
À la suite de l’incendie, le gouvernement britannique a interdit les panneaux de revêtement composites métalliques pour tous les nouveaux bâtiments et a ordonné le retrait de revêtements combustibles similaires sur des centaines de tours à travers le pays. Mais c’est un travail coûteux et les travaux n’ont pas été effectués sur certains immeubles d’habitation en raison de querelles sur qui devrait payer.
Le rapport contient de nombreuses recommandations, notamment des règles de sécurité incendie plus strictes, un collège national des pompiers et des sauveteurs et un régulateur unique et indépendant pour le secteur de la construction afin de remplacer le méli-mélo actuel d’agences.
La tour en ruine, qui a résisté pendant des mois après l’incendie telle une pierre tombale noire sur le ciel de l’ouest de Londres, est toujours debout, désormais recouverte d’une bâche blanche. Un cœur vert et les mots « Grenfell à jamais dans nos cœurs » sont gravés au sommet.
